La banque est bien calme en cet après-midi hivernal. Morphée a sorti le nez de son écharpe une fois à l'intérieur, scanné l'endroit du regard par réflexe. Le voilà qui fait la queue, placide et silencieux. Sa conseillère l'a appelé il y a quelques jours pour je ne sais quelle formalité qui nécessite sa présence… ehh, très bien. Un moment de libre pour une corvée qui l'ennuie un peu - en plus, iel est fatigué.

Ses doigts tapotent nerveusement sur son pantalon pendant ce qui lui semble une interminable attente - et son tour ne vient toujours pas. Il n'y a pourtant pas tant de monde… Mauvais pressentiment. Habitué à stresser pour rien, l'agent n'en fait pas grand cas. Peut-être aurait-iel dû, car voilà que la file s'avance et se brise comme un verre tombé au sol.  

Une vague de panique souffle sur les clients comme les employés et l'endroit semble pris dans un froid pire encore qu'à l'extérieur. Un hold-up. Rien ne change sur le visage du grand blond - ni un battement de cils ni un soupir sur cette face éternellement fermée. Allons bon, levons les mains avant de nous mettre en danger.

"Tout le monde au milieu, et pas de chichis !", rugit un second homme pendant que le troisième s'occupe de sortir les employés de leur guichet. Tous trois brandissent des armes qu'un oeil aguerri saura reconnaître comme inadaptées à ce type d'opération. L'heure est à l'observation, songe l'agent Morphée dont les doigts s'entrechoquent en des rythmes inaudibles. Le voilà qui se retrouve en première ligne du groupe d'otages, la plupart préférant certainement se faire tout petits en cette bien fâcheuse situation.

Iel semble si calme.

L'agent Beauregard a l'impression d'assister à un spectacle à la mise en scène bancale. Son oeil implacable sonde la scène et ses acteurs - il n'y en a qu'une qui est réellement assurée, dommage que son intervention soit aussi inconsciente. Il n'est pas difficile de deviner un stratagème pour gagner du temps, ainsi que déstabiliser l'assaillant. Véritable coup de théâtre pour la (prétendue) fille du commissaire que de se trouver ici !

C'en est toutefois trop quand cet homme s'avance et prononce lui aussi une tirade de chantage. Voilà qui est ennuyeux, le bluff ne prend qu'une seule fois. Morphée de marbre est agacé, comment tirer avantage de ce qui commence à ennuyer les cambrioleurs…? Cambrioleurs qui, on le sent dans l'air, sont aussi fébriles qu'énervés.  

De l'agitation dans les rangs des otages… Qu'essaie donc de faire cette autre femme ? Calmer le jeu ? Faire profil bas ? C'est un peu tard… Les quelques autres otages sont paralysés par l'effroi ou tremblants d'angoisse.

…

Sauf un, visiblement. Morphée réprime un sursaut au bruit soudain et croise le regard de la brune. Son attitude ne trompe pas, et iel comprend qu'il a probablement affaire à une collègue. Trois contre trois - si on prend en compte cet extravagant tireur qui vient de ruiner un potentiel effet de surprise qui aurait été bien utile.

"Tu t'prends pour qui, enculé ?!", hurle un des braqueurs en s'approchant, pointant le canon de son arme dans leur direction. "Balance-ça tout d'suite si tu veux pas avoir des problèmes !" Soupir intérieur. L'homme tremble mais n'en démord pourtant pas - il se croit dans un film ? "Je crois que vous ne comprenez pas bien la situation… Touchez à un seul de mes cheveux et le monde entier s'abattra sur les vulgaires rats que vous êtes !"

Non, insister sur le fait d'être un personnage riche et puissant ne peut pas vous sauver, monsieur. Bien au contraire. "Je vous conseille de faire ce qu'ils disent.", suggère le blond en s'approchant doucement. Iel saisit l'arme de l'autre homme et amorce un mouvement… "Et de vous baisser.", souffle-t-iel, inaudible pour une quelconque autre personne.

Oups. Ce sont deux autres balles qui fusent - et on a bien visé, cette fois. L'homme (qui se tenait un peu trop proche pour qu'on le loupe) s'effondre en lâchant son arme et en grognant de douleur tout en se tenant l'épaule. Il faut croire que le dernier relent d'effet de surprise a suffi pour le prendre de court. Ils sont bien loin d'être professionnels, ceux-là. D'un coup de pied rapide, iel envoie l'arme lâchée vers les otages - quelqu'un d'autre saura bien en faire usage, n'est-ce pas ?

Espérons que sa présumée collègue le suive dans cette décision improbable et le couvre. Morphée pointe son arme sur le deuxième braqueur le plus proche, imperturbable.